Pas de fête sans bulles, surtout chez les filles. En la circonstance, le crémant de Bourgogne a encore de la marge pour rattraper et supplanter le champagne quand il s’agit de festoyer. On le constate à travers l’échange de quelques pétillantes communicantes réunies à l’École des vins de Bourgogne à Beaune.
Champagne ! » Mesdames, quand il s’agit de faire la fête, vous faites sauter le bouchon mais ne criez jamais : « Crémant de Bourgogne ! » Vous criez : « Champagne ! » Là commence le challenge d’un « produit » qui, en une seconde – le temps d’un réflexe pour le consommateur –, doit rattraper la notoriété spontanée de son imposant « cousin marketé ».
Le champagne est installé dans les esprits depuis deux siècles. Il est le symbole pétillant des événements heureux, de la victoire toutes compétitions confondues.
Le crémant de Bourgogne est quant à lui une jeune appellation acquise il y a 40 ans seulement avec la bénédiction des Champenois. Afin de pouvoir utiliser ce nom, plusieurs régions productrices d’effervescents (Alsace, Bourgogne, Loire, Bordeaux, Limoux) ont en effet accepté de virer la mention « méthode champenoise » de leurs étiquettes.
Pas des buveuses d’étiquettes
Voilà pour le décor. Voilà ce qui distingue essentiellement le crémant de Bourgogne du champagne, en dehors d’un prix qui passe du simple au double. Pour le reste, les cépages utilisés sont les mêmes si l’on excepte le pinot meunier. Ces cépages sont bourguignons et se nomment pinot noir et chardonnay. La façon de réaliser l’effervescent est identique.
Les pratiques les plus exigeantes qualitativement (assemblage de millésimes, approche culturale dédiée), inspirées par les Champenois, inspirent de plus en plus de Bourguignons. D’où cette citation répandue par chez nous : « Mieux vaut un bon crémant de Bourgogne qu’un mauvais champagne ! »
Après avoir longuement écouté le « professeur » Jacky Rigaux, maître de dégustation du jour, les invitées de cette deuxième séance organisée à l’École des vins par Femmes en Bourgogne (voir numéro précédent) n’y vont pas par quatre chemins.
Ce sont des communicantes qui dégainent plus vite que leur ombre. « On le sait bien qu’il y a des buveurs d’étiquette, qui ne raisonnent qu’avec le nom », plaide Donya, non sans se fendre d’une critique lapidaire au regard des flacons de crémant de Bourgogne qui lui sont présentés: « Mais ces bouteilles sont tout simplement horribles et le format rappelle, avec moins de classe, le champagne. Quand allons-nous créer une signature qui nous distingue ? » Pas faux Donya.
Cette Bourgogne vend en toute discrétion ses vins tranquilles dans le monde entier, sans avoir à se soucier des aspects marketing. Privilège d’un monde d’exception qui semble beaucoup moins à l’aise dès qu’il s’agit de viser le monde coloré et festif des effervescents.
Le crémant de Bourgogne est passé sans encombre de rien à près de 20 millions de cols en 40 ans et prévoit le double dans 10 ans. Cela se fera au prix d’une certaine révolution créative que peu de producteurs ont engagée pour l’heure.
Et déjà conquises
Alors oui, le crémant de Bourgogne est souvent en mesure de rivaliser avec le champagne dans une dégustation à l’aveugle. « Nous en avons pleinement conscience, témoigne Emmanuelle. Lorsque j’ai travaillé au service communication du Crédit agricole, on servait toujours du crémant de Bourgogne dans nos événements et personne ne s’en est jamais plaint ! »
Cette dimension « militante » est partagée par Laurence la galeriste dijonnaise : « Systématiquement, j’en propose à chacun de mes vernissages, je ne me pose même pas la question. »
Nous sommes, il est vrai, dans le cercle initié de femmes dévouées à la cause de la région. Mais en réalité, dans bien des endroits bien fréquentés comme les « clubs house » des clubs sportifs professionnels de Dijon, le champagne est plus souvent à l’honneur que le crémant de Bourgogne. On ne parle même pas de ces cabarets régionaux qui ont encore du mal à se sortir de la bulle marnaise pour vendre leurs soirées spectacles.
Cela pourrait changer. Comme l’indique Jacky Rigaux, « la Bourgogne devrait aller vers une hiérarchisation à plusieurs niveaux en mêlant la culture du process à la culture des lieux, alors que la Champagne pense de plus en plus à donner une indication de lieu à ses cuvées. »
Reconnues en même temps par l’Unesco en juillet dernier, mais pour des raisons différentes malgré tout, les deux régions ont donc toutes les raisons de se rapprocher. Bercées par ces informations et quelques jolies leçons de « consistance » et de « sapidité » prodiguées par leur maître de dégustation, les « stagiaires » de Femmes en Bourgogne passent enfin à la pratique (voir encadré) de la dégustation. Avec la promesse faite au tintement des flûtes de dire désormais: « Crémant de Bourgogne ! »
Le sexe de la tache jaune
Un brut de brut 100% chardonnay de La Cave de Lugny, une cuvée millésimée 2011 de La Cave des Hautes-Côtes, un brut de chez Picamelot, la cuvée Colette (pinot-chardonnay) des Caves Bailly-Lapierre, une cuvée 100% pinot de la même maison et un rosé : telle est la sélection type proposée par l’Union des producteurs et élaborateurs de crémant de Bourgogne (Upecb) pour appréhender en une dégustation la diversité du crémant de Bourgogne.
Il est intéressant toutefois de souligner qu’au moment des commentaires la minéralité du 100% chardonnay l’emporte largement chez les dames alors que le crémant brut de chez Picamelot, sans doute plus « musclé » (ne rien en déduire svp), a plutôt les faveurs des messieurs, en minorité lors de cette dégustation. À croire que la fameuse « tache jaune » qui désigne l’organe olfactif humain est elle aussi sexuée.
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