Elles ont choisi un métier masculin et le vivent très bien. Elisa, 19 ans, et Valérie, quinze de plus, ont deux parcours de vie très différents mais sont épanouies dans le même domaine, la carrosserie. Portrait de ces deux apprenties au CFA La Noue.
Elle n’a pas encore conscience de casser les codes. À même pas 20 ans, Elisa a tracé sa voie naturellement, sans se poser de questions. Ben oui, on peut être une fille et se passionner de moteurs rutilants et du bruit de la tôle en plein travail. « Je suis une amoureuse de voitures anciennes depuis toute petite », explique la miss, touchée par le virus dès qu’elle a vu son papa débarquer dans une magnifique Alfa Romeo GT Junior « pour m’emmener à ma profession de foi ».
Originaire d’Avallon, dans l’Yonne, Elisa a suivi un bac en mécanique auto à Joigny. Elle s’est ensuite tournée vers le CIFA de l’Yonne – « l’expérience personnelle n’a pas bien fonctionné » – avant de bifurquer vers le CFA La Noue en septembre dernier pour une année de formation en carrosserie. « J’ai travaillé sur l’intérieur de la voiture durant mon Bac, je touche maintenant à l’enveloppe », explique la jeune femme, pas perturbée pour un sou d’évoluer dans un milieu très majoritairement masculin. Il y eut bien, c’est vrai, un patron brut de décoffrage durant un stage, « qui m’a gentiment fait comprendre qu’en gros, ma place était plus au bureau qu’à l’atelier ».
DÉPART 5H20
Ces propos fleuris se font heureusement de plus en plus rares selon Elisa, qui se fiche pas mal du regard des autres puisqu’elle « adore ce qu’(elle) fait ». Cela aide effectivement à passer outre « ceux qui (la) prennent un peu pour un ovni » et à apprécier le grand soutien de ses proches. « Certains viennent même me demander des conseils pour leur voiture ! ».
Dans l’affaire, la carrosserie Gentil à Avallon, où elle travaille actuellement en parallèle, est aussi d’une bonne aide. « Je connais le patron depuis pas mal de temps, il m’a aussi donné la fibre de la voiture ancienne », poursuit celle qui aimerait bien se spécialiser dans la restauration de ces joujous de collection. Et le rôle du CFA La Noue, dans tout ça ? Le cursus sans les matières générales « classiques » et avec horaires aménagés lui permet de se focaliser sur l’apprentissage de ce « métier technique et exigeant ». À ce titre, Elisa apprécie la compétence du corps enseignant : « Ils ont beaucoup d’expérience à nous transmettre, on sent qu’ils connaissent chaque aspect du métier. » Encouragée par ce cadre propice à l’épanouissement et à l’insertion dans ce qu’on appelle la vie active, notre Icaunaise poursuit son aventure. Sans jamais trainer des pieds. Et ce n’est pas le trajet en bus (départ 5h20 !) depuis son Yonne natale jusqu’au CFA installé à Longvic qui va gripper son moteur. Elle assure même trouver le temps pour jouer gardienne de but au Stade Auxerrois. Carrossière et fière, on vous dit !
Changement d’ambiance. Valérie n’a pas la jeunesse de sa camarade. À 34 ans, cette maman d’une petite fille, domiciliée à Nuits-Saint-Georges, a fait le choix d’une reconversion. Adieu le métier de monitrice-éducatrice, qui lui était « devenu trop pesant ». Après une rupture conventionnelle et « une ancienne patronne qui (l)’a comprise et a été top avec (elle) », Valérie a pris un nouveau départ. « J’ai fait un bac littéraire arts plastiques et j’ai toujours aimé le travail manuel », détaille celle qui, en cherchant, est « en quelque sorte retournée à ses premières amours » avec la carrosserie. Non sans appréhension : « J’ai d’abord eu peur. Je pensais que c’était un métier difficile physiquement, mais j’ai rencontré des personnes qui ont cassé ces idées reçues. » À commencer par son frère, professeur de mécanique auto.
Valérie est donc retournée à l’école l’année dernière. La trentaine passée. À l’écouter, sa très bonne intégration au CFA La Noue fut décisive pour digérer ce changement de cap tardif. « Au tout début, je me suis retrouvée dans une classe avec des jeunes de 15 ou 16 ans. Ce n’était pas évident », concède la Nuitonne qui a finalement intégré une classe spéciale adultes. Et de poursuivre, très enthousiaste : « L’équipe pédagogique est vraiment top, c’est un bol d’air frais quand je viens. » Le constat est d’autant plus heureux que Valérie n’est pas un cas isolé. L’établissement a en effet pour mission régulière de remettre en selle des adultes qui, à la croisée des chemins, ont choisi de changer de vie.
BIENVEILLANCE
Pour la jeune maman, ce changement s’opère via un contrat de professionnalisation. Une première année en réparation, et la deuxième en CAP peintre pour se spécialiser dans la décoration, ce qu’elle préfère. C’est sa petite touche féminine. Mais de toute façon, pour les hommes comme pour les femmes, ce métier « nécessite dextérité et réflexion, car on fait vite des bêtises en étant brusque ». Employée à MS Car 21, du côté de Marsannay, Valérie avoue avoir un temps pensé « à tomber sur des mecs un peu machos. Les gens peuvent être surpris de voir une fille dans ce métier, mais je trouve que les mentalités ont changé. Il y a même, pour ma part, une certaine bienveillance ».
La tête sur les épaules, l’apprentie fait de toute façon le maximum pour trouver sa place. Quelques carences en mécanique ? Elle dit « travailler pour rattraper le retard » et se familiariser avec le vocabulaire. Sa voiture a besoin d’être retapée ? Elle s’en occupe elle-même, avec au bout du compte « la fierté d’avoir fait ça toute seule, en voyant concrètement le fruit de son travail ». Puis, les femmes n’ont-elles pas leur mot à dire dans ce domaine ? « C’est vrai qu’elles peuvent peut-être apporter une certaine douceur, un peu plus de patience aussi », concède volontiers notre carrossière. « Je suis minutieuse et perfectionniste, j’aime faire les choses bien ! » Il faut les faire, aussi, avec la réalité des commandes : timing à respecter, exigences des clients… Valérie, épanouie, veut tout assumer. Fière, la carrossière !