Elles cherchent, elles ont trouvé ou elles ont été déçues. Meetic, Adopte un mec, Attractive Wolrd… : des Dijonnaises témoignent de leur expérience sur les sites de rencontres. Ou comment la grande foire à l’amour peut faire le bonheur des unes et s’avérer vaine voire dangereuse pour les autres.
Par Philippe Lebon
Photos : DR et Christophe Remondière
Dans cet article, afin de préserver l’anonymat de nos témoins, les prénoms ont été modifiés.
Claire, 50 ans, s’inscrit sur un site de rencontres sous le nom de Clara, 24 ans. Elle séduit un homme, dont elle tombe éperdument amoureuse. Mais cette relation virtuelle, fondée sur le mensonge, a-t-elle la moindre chance de basculer dans la réalité ? C’est toute l’histoire de Celle que vous croyez, le film de Safy Nebbou sorti cet été au cinéma, avec une Juliette Binoche épatante dans le rôle d’une femme prisonnière de son avatar. Le mensonge en ligne, Nathalie connaît bien. Après quelques mois sur Meetic, cette Dijonnaise de 34 ans a fini par jeter l’éponge. « Entre les hommes mariés en quête d’une maîtresse, les pipoteurs qui mentent sur leur âge, sur leur physique, les mecs qui cherchent juste un plan cul, ceux qui au contraire fantasment derrière l’écran mais ne rencontrent jamais… Les sites sont une foire au n’importe quoi », lâche cette femme déçue qui peine à dissimuler sa colère. Et pourtant, le succès des sites de rencontres ne faiblit pas. Selon un sondage Ifop mené en 2018, 26 % des Français seraient inscrits – ils n’étaient que 16 % en 2011. Et ça marche, semble-t-il : lancé par Marc Simoncini – c’est à Dijon que celui-ci fonda sa première entreprise, dans les années 80 –, Meetic revendique 28 millions de profils enregistrés depuis sa création en 2001 et six millions de couples constitués dans le monde. Pascal Lardellier en convient : les rencontres sur internet, c’est possible ! Auteur de deux ouvrages sur le sujet – Le Cœur net en 2001 et Les Réseaux du cœur en 2013 –, ce sociologue, professeur à l’université de Bourgogne, tempère aussitôt le propos : « Il nous faut réinterroger la notion même de couple. Dans une ère de consommation sentimentale et sexuelle, on est passé du couple en CDI [ndlr : contrat à durée indéterminée] au couple en CDD [ndlr : contrat à durée déterminée]. L’idéologie libérale et l’abondance de technologies, l’apparition notamment des applications sur mobile, ont profondément transformé la notion même de couple ».
Mieux vaut être sélective
Ludivine, 31 ans, s’était inscrite sur un site à son arrivée à Dijon. Pour rencontrer des gens dans sa nouvelle ville, son travail lui laissant peu de temps pour sortir. Au bout de trois jours, elle rencontre un homme, et ça colle. Du coup, elle se désinscrit, l’histoire dure quelques semaines, et six mois plus tard elle y retourne avant d’arrêter complètement. « Grâce au site, j’ai rencontré plusieurs hommes, dont un est resté un sex friend avec lequel je n’ai pas de relation exclusive, reconnaît-elle. Mon objectif de socialisation a été atteint. » Joséphine, elle, est toujours inscrite, même si elle ne consulte pas forcément régulièrement le site. Après son divorce, elle tente le coup sur Meetic avant de basculer sur Adopte un mec, gratuit pour les filles. En ligne, elle retrouve, outre son ex-mari, pas mal d’hommes avec lesquels le courant passe mais avec lesquels elle n’a pas envie d’aller plus loin. Bilan : une centaine de contacts, zéro relation. « Mais les sites permettent de croiser des gens très intéressants. Des hommes timides ou accaparés par leur boulot, pas mal de gens seuls, pas toujours bien dans leur peau ou qui n’ont pas fait le deuil de leur prédédente relation. » L’une comme l’autre ont vite compris qu’il fallait être sélective : les profils trop beaux pour être vrais, les messages truffés de fautes de français, les invitations directes voire vulgaires sont rédhibitoires. L’une comme l’autre ne raffolent pas des échanges virtuels interminables, même s’ils sont sécurisants pour une femme, et proposent rapidement une rencontre autour d’un verre. Et plus si affinités, mais c’est finalement assez rare.
Gare aux prédateurs
Sélective, Élise l’a été – une dizaine de contacts établis tout au plus en 10 mois. Cela n’a pas empêché cette Dijonnaise divorcée de 40 ans de faire une mauvaise rencontre. Une agression. Le choc. Elle met en garde les femmes inscrites contre les prédateurs, mais elle reconnaît en même temps que c’est grâce à internet qu’elle a fini par trouver l’amour. « Je n’aurais jamais rencontré mon compagnon sans le site, nous n’habitons pas dans la même ville et nous sommes d’univers professionnels très différents », avoue Élise, qui file le parfait amour depuis un an et demi – mais chacun vit chez soi, les deux tourtereaux ne partageant finalement « que les bons moments de la vie ». Juliette, elle, a fait plus que cela. À 38 ans, elle pouponne aujourd’hui son « bébé Meetic ». Ce qui l’avait poussée vers le site, c’était l’envie de rencontrer d’autres personnes que celles du cercle professionnel et de la sortie de l’école. La bonne rencontre finit par arriver sans crier gare : « Nos échanges par le tchat étaient fluides, simples. On s’est rencontrés. Ça a été le coup de foudre. On s’est installés en couple un an plus tard et notre fille est arrivée trois ans et demi après ». Juliette savait que cela pouvait se produire puisque, 10 ans plus tôt, c’est par Meetic déjà qu’elle avait rencontré son premier mari, père de son premier enfant. Elle a donc récidivé, en dépit de l’échec de la première union. « Le site te donne la chance de faire la connaissance de gens que tu n’aurais pas croisés autrement. Mais il faut avoir soi-même une démarche bien claire, savoir ce que l’on cherche, ce que l’on veut. Et alors on fait de belles rencontres. »
Il faut aussi savoir choisir son site : si Meetic est le plus connu, Adopte un mec est assez apprécié des femmes, qui représentent 53 % des inscrits. Mais toutes les plateformes se ressemblent sur au moins un point : la « marchandisation » de la relation. « L’image des relations femmes-hommes est terrible, relève Ludivine. Tu choisis un mec, tu le glisses dans ton panier ou tu le mets à la poubelle, comme si tu faisais tes courses en ligne ! » Cette désincarnation de l’individu qui s’efface derrière un profil plus ou moins honnête est caractéristique d’un système cynique potentiellement dangereux, analyse Pascal Lardellier : « Beaucoup d’abonnés à ces sites sont rapidement dépassés par un outil qui se présente sous un jour ludique. Ils multiplient les rencontres puisqu’il est toujours possible de rencontrer sans cesse davantage. Ils se disent qu’ils trouveront encore mieux la prochaine fois et se retrouvent ainsi piégés dans un dispositif addictif, une sorte de donjuanisme technologique où il s’agit de remplir un tableau de chasse qui n’en finit pas ». Cette attitude consumériste était plutôt masculine… mais les femmes ont aujourd’hui tendance à reproduire ce genre de comportement, observe le sociologue, qui prépare son troisième livre sur le sujet, un ouvrage au propos « désillusionné » prévient-il. Sonia Bahouth, psychologue clinicienne et sexologue clinique à Dijon, confirme le danger : « Il y a, chez certaines personnes, une boulimie de rencontres, une consommation sans fin, un zapping permanent. Mieux vaut ne pas aller sur ces sites sans avoir au préalable mené un travail sur soi. Les sites de rencontres sont dangereux pour des personnes fragiles, vulnérables, qui souffrent d’un manque d’estime de soi ». Joséphine en a croisé plus d’une. « J’ai été frappée par la pauvreté affective de beaucoup d’hommes inscrits, souvent déçus par les femmes, traumatisés par un échec amoureux, par une rupture douloureuse », témoigne-t-elle.
« Mieux vaut avoir mené un travail sur soi avant d’aller sur les sites de rencontres »
Sonia Bahouth, psychothérapeute à Dijon
La reine de la fête
La tentation est forte alors de se retaper en s’inscrivant sur un site de rencontres, pas seulement pour les hommes. Une sorte de thérapie, sauf qu’elle est vouée à l’échec. « Cela fait du bien de se sentir courtisée, séduisante, attirante », explique Sonia Bahouth. « Les sites de rencontre sont profondément narcissisants, ajoute Pascal Lardellier. On se construit une image, on se “vend”. Et quand on reçoit des dizaines de demandes de rendez-vous, c’est flatteur, forcément. On est le roi de la fête ! » Sauf que les apparences ne font pas tout. Au petit jeu de la séduction et de l’ultra-valorisation de soi, les déceptions sont pléthore. « Je me suis aperçue qu’en fait, les critères de sélection que j’avais définis ne fonctionnaient pas, reconnaît Juliette. Les hommes qui m’ont plu ne correspondaient pas à mes critères initiaux sur le site. » Une autre façon de dire que l’on projette sur l’inconnu caché derrière son écran des visions fantasmées. « Tu t’emballes vite quand tu discutes par tchat. Et puis le jour de la rencontre, tu es déçue », admet Nathalie. Les sites internet sont-ils donc vraiment les « moyens de rencontre du XXIe siècle », comme le pense Élise ? « C’est un moyen parmi d’autres, complémentaire », tempère Ludivine. « Un dernier recours pour les femmes qui n’ont pas trouvé autrement », selon Sonia Bahouth. Un « monstre technologique » pour Pascal Lardellier, qui pourrait bien finir victime de son succès : les agences matrimoniales, que l’on disait condamnées, retrouvent aujourd’hui une clientèle avec les déçus de cette grande foire aux rencontres où pourtant, parfois, certaines finissent par trouver leur bonheur.
« Les sites de rencontres sont un dispositif addictif, une sorte de donjuanisme technologique »
Pascal Lardellier, sociologue, université de Bourgogne
Elle a inscrit son ex sur un site de rencontres !
Justine l’avoue : elle trouvait son ex « très malheureux » depuis leur séparation et depuis qu’elle avait refait sa vie avec un homme rencontré sur Adopte un mec. Cette Dijonnaise de 40 ans a donc fini par lui proposer de faire comme elle : chercher l’amour sur le web. « Mais il est timide, explique-t-elle. Jamais il n’aurait sauté le pas tout seul. Il ne connaissait pas du tout les codes. Et en plus il maîtrisait assez mal l’outil informatique. » Justine l’a donc pris par la main. Elle lui a offert un abonnement d’un mois, elle l’a aidé à s’inscrire, elle l’a épaulé dans la création de son profil… et c’est même elle qui l’a pris en photo – « des photos tout à fait décentes », précise-t-elle. Et ensuite il l’a tenue informée de ses contacts et de sesrencontres, sollicitant des conseils de sa part et même de celle de son nouveau compagnon. Et c’est pendant que Justine était
en vacances en Asie que son ex a fini par faire la bonne rencontre. Il s’est installé en couple depuis. Avec une femme qui n’apprécie pas forcément la complicité entre les deux ex. Résultat : maintenant qu’il a retrouvé l’amour et le goût de vivre, un peu grâce à elle, ils ne se voient pratiquement plus.