Premiers crus met en scène un Gérard Lanvin bougon et désœuvré qui n’a plus envie de s’occuper de ses vignes. Le film réalisé par Jérôme Le Maire place aussi les femmes au cœur de la problématique viticole, celle de la transmission et de ces nouvelles madones du terroir qui bousculent les vieilles habitudes machistes. Cécile Tremblay et Virginie Taupenot réagissent sur ce film au regard de leur propre réalité de vigneronne.
Les premières impressions sont plutôt bonnes. Cécile Tremblay, viticultrice à Vosne-Romanée et Virginie Taupenot, présidente de l’association Femmes et Vins de Bourgogne ont été séduites par le film. « Gérard Lanvin est extraordinaire », va jusqu’à affirmer cette dernière tandis que Cécile Tremblay a retenu d’autres aspects : « Les paysages étaient magnifiques. Je me suis demandé où ils avaient tourné. » Les experts de la Bourgogne noteront sans doute quelques illogismes, mais le grand public n’y verra que du feu. Des vignes dorées par l’automne et illuminées par le soleil, un paysage qui arrive encore à faire vibrer même celles qui y sont habituées et qui devrait emballer les spectateurs. « On y voit des villages typiques avec beaucoup de simplicité », souligne Cécile Tremblay qui a également perçu beaucoup d’émotion dans l’histoire. Mais le film nous montre plus qu’une photographie d’un département plein de richesses et de merveilles. La question de la transmission, l’amour de la terre ou encore la place des femmes n’ont pas manqué de faire réagir nos deux vigneronnes.
Femmes de tête
« Je m’attendais à quelque chose de plus léger, il n’y a pas eu de film aussi détaillé jusqu’à présent. » Virginie Taupenot est convaincue par l’histoire mais aussi par ses personnages : « Gérard Lanvin a ce côté non-dit des gens de la terre, qui communiquent avec les yeux, comme pouvait le faire mon père. » Les professionnels du vin trouveront sans doute dans Premiers crus des éléments qui leur parlent, qui font écho à leur réalité, leur permettant de s’approprier le film. Et les femmes, dans tout ça ? Ce n’est pas Alice Taglioni dans son rôle de Blanche Maubusson qui marque le plus le spectateur. Bien que jolie, son personnage manque un peu de profondeur face à sa mère interprétée par Frédérique Tirmont. « J’étais super fière de voir qu’il y avait une femme à la tête d’un domaine dans le film. C’est le reflet du monde viticole d’aujourd’hui où hommes et femmes se côtoient », explique Cécile Tremblay, elle-même à la tête d’une exploitation. Pour la viticultrice, le monde a évolué : « On ne voyait pas ça, il y a 50 ans. Le film fait sortir d’un monde macho et on y voit une femme avec beaucoup de caractère. » Du caractère, le personnage d’Édith Maubusson n’en manque pas. On sent que cette femme a dû faire ses preuves, que c’est à force de travail qu’elle a obtenu le respect de ses pairs. « J’ai ressenti ça aussi en m’installant. Il n’y a pas beaucoup de femmes sur la côte des vins alors on nous regarde en se demandant ce qu’on va faire. » Malgré tout, Cécile Tremblay aime travailler avec les vignerons car comme dans le film, elle apprécie leur côté direct et leur franc-parler. Une façon d’être qui a aussi frappé Virginie Taupenot : « Je m’attendais pas à des traits de caractère aussi perçants comme on les retrouve chez les gens de la vigne. » Une fois de plus c’est le personnage d’Édith Maubusson qui attire l’attention de la présidente de l’association car « la mère est très dure, peut-être excessivement, mais ça montre la dureté de cette femme dans un milieu d’hommes… comme une protection. » Selon elle, il y a des attentes particulières vis-à-vis d’une fille car dans le monde de la vigne, ce n’est pas dans l’ordre des choses.
[df_divider el_width=”100″ style=”solid” height=”1px” accent_color=”#EEEEEE” border_size=”1px” padding=”20px 0″ position=”align_center” el_class=””]Les clés de la transmission
La transmission d’une génération à l’autre s’inscrit en toile de fond du film. Entre Gérard Lanvin et Jalil Lespert d’un côté, les héros du film, mais aussi entre Frédérique Tirmont et Alice Taglioni, de façon plus discrète, de l’autre. Bien que Cécile Tremblay n’ait jamais eu personne derrière elle pour lui dire comment faire, ou ne pas faire, elle a su apprécier le traitement de la question : « Je trouve ça bien que le père laisse faire son fils, à sa manière, qu’il accepte le changement et fasse preuve d’ouverture. Lui laisser la liberté d’essayer, c’est ça la transmission. » Virginie Taupenot travaille aux côtés de son frère dans le domaine familial. Elle a connu ce passage : « Je comprends que ce soit dur pour les parents de lâcher prise. Bien sûr, j’ai entendu mes parents me dire ”moi, j’ai jamais fait comme ça“, et en même temps mon père est ouvert et nous fait confiance ». Si, dans le film, la transmission entre Gérard Lanvin et Jalil Lespert ne se passe pas sans heurts, elle reste plus douce que celle qui attend Alice Taglioni. Cécile Tremblay ne mâche pas ses mots quand elle y fait allusion : « La calotte dans la figure qu’elle se prend de la part de sa mère ! J’en étais malade pour elle ! » Ce n’est pas parce que cela se passe entre une mère et sa fille dans un milieu d’hommes que le réalisateur a voulu montrer quelque chose de tout beau, tout rose. Malgré tout, la jeune actrice persiste par amour pour sa vigne. « J’ai trouvé ça magnifique quand elle dit “ma vie c’est ici”. Dans la réalité, il y a beaucoup de jeunes qui vont étudier ailleurs mais qui reviennent au bercail, parce que c’est dur de quitter sa terre. » Premiers crus fait ressortir avec raison l’attachement des vignerons pour leur terre, leur région. Alors quand on voit Alice Taglioni se promener dans les rangées de vigne pour s’imprégner du raisin, de l’atmosphère, on pourrait croire que c’est une manière romancée de montrer le métier. Pourtant, à en croire Virginie Taupenot, ce n’est pas si éloigné de la réalité : « On ne comprend le terroir qu’en allant dans les vignes. C’est un peu viscéral. C’est une activité difficile, alors ce ne serait pas possible sans passion ». Cécile Tremblay reconnaît même qu’elle ramasse la terre, qu’elle a besoin d’avoir les sensations. Alors oui, les vignerons vont respirer leurs vignes, mais le film est-il crédible d’un bout à l’autre ?
[df_divider el_width=”100″ style=”solid” height=”1px” accent_color=”#EEEEEE” border_size=”1px” padding=”20px 0″ position=”align_center” el_class=””]Y’a du vrai, là-dedans !
« On est bien dans la réalité des choses. Il reflète bien le monde bourguignon. » Pourtant Cécile Tremblay reconnaît que quelques passages l’ont intriguée ou amusée. D’abord cette scène où les Bourguignons accueillent des Bordelais. En plus de propos peu élogieux à leur encontre, Gérard Lanvin fait preuve d’un chauvinisme exacerbé. « Je me suis dit qu’ils prenaient cher, les Bordelais ! On n’est pas aussi chauvins, on boit aussi du bordeaux. Il faut être respectueux car il y a des grands vins partout en France. » Même un novice sera intrigué par le passage des bâches que l’on met sur la vigne. Pourtant, la vigneronne souriante ne se montre pas critique : « Il veut juste résoudre les problèmes avec des solutions simples, c’est une jolie naïveté ». Le guide œnologique qui met en avant des châteaux à la place des domaines et les vendanges sous la pluie (qui auraient pu attendre un jour de plus et le soleil, selon la propriétaire du domaine) sont les seuls points qui ont attiré l’attention de la vraie vigneronne : « Le réalisateur a voulu montrer les difficultés du métier, mais ça manque de glamour ». La grande question qu’elle s’est posée et que le public se posera sans doute : faut-il attendre que le pépin ait le goût de réglisse pour vendanger ? Virginie Taupenot a une piste de réponse. « J’ai appris que le réalisateur tenait ça de quelqu’un du monde du vin. » Mais cette femme du vin n’a pas été surprise par cette allusion. « On croque le pépin, c’est vrai mais de là à aller jusqu’au goût de la réglisse, je ne sais pas. On peut juger du croquant du fruit, de la maturité. » Elle aussi ne voit pas vraiment de fausses notes entre le film et la réalité. « On ne se rend pas bien compte du temps et du travail qu’il y a entre les vendanges et la mise en bouteille mais pour moi, il n’y a pas d’erreur. » Difficile de dire si ce Premiers crus sera un grand cru du cinéma. Bien que nos critiques expertes se montrent séduites par le film et qu’il donne une image à la fois réaliste et magnifiée de notre région, il s’agit d’une comédie romancée à la française. Alors comme le vin, on peut qualifier ce film de rond, velouté, souple, mais qui apparaît par moments comme un peu vert, parfois pâteux ou plat. Forcément sollicité comme le sont les vins de Bourgogne, mais loin de rivaliser avec les meilleurs domaines de la région.
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